Pourquoi dit-on que la population autistique augmente ?

Pourquoi dit-on que la population autistique augmente ?

De plus en plus on nous annonce des chiffres qui interpellent : "l’autisme toucherait aujourd’hui un enfant sur 36, contre un sur 100 il y a quelques années, voire un sur 150 auparavant". Présentés ainsi, ces chiffres sont accompagnés de discours annonçant une véritable épidémie, alimentant des discours alarmistes qui laissent entendre qu’il se passe quelque chose d’anormal, voire de dangereux. L’image véhiculée est celle d’une montée en flèche inexplicable (qui n'est expliquée que par des théories complotistes), presque menaçante, qui nécessiterait une réponse d’urgence. Pourtant, ce réflexe émotionnel mérite d’être interrogé.

Que signifie vraiment cette augmentation ? Et surtout, que nous dit-elle sur notre rapport à l’autisme ?

Chiffres et perceptions : une lecture trompeuse

Dire qu’un enfant sur 36 est autiste revient à environ 2,78 % de la population (ce chiffre représente une statistique fiable en tenant compte des connaissances actuelles). Cela peut sembler marquant, mais ce taux ne représente pas une flambée soudaine. Ce qui frappe surtout, c’est la manière dont l’information est présentée : un ratio comme « 1 sur 36 » évoque une urgence, alors qu’un pourcentage permet une lecture plus pondérée et analytique.

Ce chiffre représente, pour la France environ 1 890 000 personnes concerné.e.s sur ce chiffre, on compte environ 110 000 diagnostiques officiels. Nous sommes ainsi, loin, très loin d'une explosion des diagnostiques. 

Cependant, ces statistiques ne disent pas tout. Il faut interroger leur origine, leur méthode de collecte, et les critères sous-jacents. Aux États-Unis, les données souvent citées proviennent du CDC, qui mène des enquêtes auprès d’enfants de 8 ans dans certains États. Ce que ces données mesurent, ce n’est pas l’apparition de nouveaux cas, mais le nombre de diagnostics établis. Et ce chiffre est évidemment influencé par la qualité du dépistage, la formation des professionnel·le·s de santé, ou encore la sensibilisation des familles.

Des outils diagnostiques plus inclusifs

L’augmentation des diagnostics découle en partie de l’élargissement des critères d’identification de l’autisme, mais aussi d’un changement social : on repère aujourd’hui des signes qui passaient autrefois inaperçus. Il s’agit donc moins d’un phénomène épidémiologique que d’une reconnaissance progressive. Ce constat est renforcé par les écarts d’un pays à l’autre, ou même d’une région à l’autre, qui révèlent l’influence du contexte culturel, des politiques de santé, et des représentations collectives.

Des études comparatives comme celles de Davidovitch et al. (2013) ou de l’INSERM (2018) montrent que les taux de diagnostic sont directement corrélés à la structuration des dispositifs de repérage et à la visibilité sociale des personnes autistes. Aux États-Unis, des campagnes d'information et un accès facilité aux aides ont contribué à une hausse marquée des diagnostics. En France, l'évolution est plus lente mais suit un mouvement comparable, renforcé par les différents plans autisme.

Cependant, un enjeu majeur reste la sous-représentation des personnes dites racisées dans les parcours diagnostiques. De nombreuses études internationales, notamment aux États-Unis et au Royaume-Uni, montrent que les enfants noirs, arabes ou issus de groupes minoritaires sont diagnostiqués plus tardivement, ou voient leurs signes interprétés à tort comme des troubles du comportement ou des difficultés éducatives. En France, ces biais sont encore peu documentés, mais les témoignages de personnes concernées et de professionnel·le·s de santé pointent des retards similaires, dus à des stéréotypes, à un manque de formation interculturelle, et à des obstacles d’accès au soin.

Reconnaître ces inégalités est indispensable pour garantir un diagnostic plus juste, équitable et représentatif de la réalité. Cela implique aussi de remettre en question les modèles de repérage standardisés, souvent calqués sur des profils masculins, blancs et de classe moyenne, qui excluent de fait de nombreuses personnes concernées par l'autisme.

Un diagnostic redéfini : du DSM-IV au DSM-5

Le DSM, manuel de référence pour le diagnostic des troubles mentaux, a connu une évolution majeure entre sa quatrième et sa cinquième édition. Alors que le DSM-IV distinguait plusieurs sous-catégories (autisme, Asperger, TED-NS), le DSM-5 regroupe ces profils sous un seul spectre : le Trouble du Spectre de l’Autisme (TSA). Cette réforme vise à refléter la diversité des manifestations cliniques, tout en facilitant l’accès au diagnostic.

Cela permet une meilleure reconnaissance des profils dits "atypiques", souvent passés sous silence dans les approches antérieures. Des personnes sans déficience intellectuelle, ou présentant une bonne adaptation sociale apparente, peuvent désormais être identifiées, et ainsi accéder à des soutiens adaptés. Cette redéfinition a aussi contribué à une hausse des diagnostics chez les filles, les personnes racisées ou les adultes.

Une parole qui se libère : visibilité, réseaux et auto-diagnostic

Les réseaux sociaux ont joué un rôle clé dans la transformation de l’image de l’autisme. En rendant la parole accessible aux personnes concernées, ils ont permis une redéfinition de ce que signifie être autiste aujourd’hui. Le témoignage de personnes adultes, souvent non diagnostiquées pendant l’enfance, a mis en lumière des parcours atypiques mais pourtant bien réels. Cela a aussi renforcé la légitimité de l’auto-diagnostic, notamment dans les contextes où les parcours médicaux sont longs ou inaccessibles.

Ce mouvement a contribué à briser les stéréotypes : l’autisme n’est plus uniquement perçu à travers le prisme du handicap sévère ou de la déficience intellectuelle. Il apparaît comme un fonctionnement neurologique différent, avec ses forces et ses fragilités, ses spécificités sensorielles, émotionnelles, sociales et cognitives. C’est aussi ce changement de représentation qui pousse davantage de personnes à demander un diagnostic.

Autisme et diversité humaine : sortir des stéréotypes

Voir l'autisme dans sa diversité, et chercher à le sortir des stéréotypes néfastes, ne signifie pas ignorer les besoins d’accompagnement, d’adaptation ou de reconnaissance. Des soutiens sont nécessaires, et à adapter au cas par cas. Mais ces réalités ne doivent pas masquer les ressources, les perceptions singulières et les stratégies de compensation que de nombreuses personnes autistes expriment au quotidien.

L’autisme n’est pas une pathologie à éradiquer, ni une simple variation d’intelligence ou de comportement. Il reflète une diversité humaine logique, qui ne nécessite pas d’être classée sur une échelle de gravité. Le concept de spectre n’indique pas que certaines personnes sont "plus" ou "moins" autistes, mais qu’il existe une grande variabilité de fonctionnements neurologiques. Ce fonctionnement concerne des personnes de tous âges, de tous milieux, de tous genres. Il ne se voit pas toujours de l’extérieur, mais il structure profondément la manière de percevoir, de ressentir et de vivre le monde.

L'idée de "spectre autistique" reflète avant tout la diversité logique du fonctionnement humain, telle qu'elle se manifeste chez les personnes autistes. Il ne s'agit pas d'une hiérarchie de sévérité, mais d'une pluralité de logiques, de sensibilités (sensorielles, émotionnelles), de capacités et de difficultés, influencées autant par le développement individuel que par l'environnement social, éducatif et culturel. Cette variabilité clinique traduit simplement la diversité et la complexité du fonctionnement autistique, qu’il convient d’aborder sans réduire à des catégories rigides. Il ne doit pas être perçu comme une gradation de troubles, mais comme une manière de reconnaître que nous ne fonctionnons pas tous et toutes selon les mêmes repères. Cette diversité doit être écoutée, comprise et respectée, comme toute autre forme de variation humaine.

Conclusion

C’est dans cette compréhension que réside le véritable changement. L’autisme ne se limite pas à un ensemble de symptômes à corriger. C’est une manière différente de fonctionner, avec ses logiques, ses perceptions, ses forces et ses difficultés. C’est une identité pour beaucoup, une grille de lecture pour d’autres, une réalité à reconnaître pleinement. Le fait que l’on en parle davantage aujourd’hui ne signifie pas que l’autisme se répand, mais qu’il sort de l’ombre.

Et cette lumière, aussi partielle et discrète soit-elle encore, a des effets puissants. Elle permet aux enfants de grandir en se sentant compris. Elle permet aux adultes de se déconstruire et se reconstruire en faisant la paix avec elleux-mêmes. Elle permet à la société de s’enrichir de points de vue différents. Elle remet en question les stéréotypes, en particulier ceux qui lient systématiquement autisme et déficience intellectuelle, ou ceux qui cherchent à classer les personnes entre "haut niveau" et "bas niveau", comme si l’humanité pouvait se réduire à ces étiquettes.

Ainsi, oui, les chiffres augmentent. Mais ils ne signalent pas une crise, ils signalent une reconnaissance. Une réappropriation de la narration. Une ouverture à la complexité. L’autisme, dans sa diversité, ne fait que rejoindre la place qu’il aurait toujours dû occuper : celle d’une expression humaine parmi d’autres.

Il reste encore du chemin, notamment pour rendre visible les adultes, pour mieux prendre en compte les vécus minoritaires, pour adapter les diagnostics aux réalités non stéréotypées. Mais en prenant du recul sur les discours catastrophistes, en les confrontant aux données, en écoutant les concerné·e·s, on peut passer d’une peur irrationnelle à une compréhension sereine. Non, la population autistique n’explose pas. Elle s’affirme, elle s’exprime, elle existe. Et c’est une très bonne nouvelle.

Tout Simplement.

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Ressources

Voici quelques références pour approfondir les points abordés dans cet article :

  • CDC (Centers for Disease Control and Prevention). (2023). "Prevalence of Autism Spectrum Disorder Among Children Aged 8 Years — Autism and Developmental Disabilities Monitoring Network, 11 Sites, United States, 2020". MMWR Surveillance Summaries, 72(2), 1–14. https://www.cdc.gov/mmwr/volumes/72/ss/ss7202a1.htm

  • INSERM. (2018). Autisme - Diagnostic, interventions et parcours de vie : état des connaissances. https://www.inserm.fr/actualites-et-evenements/dossiers-d-information/autisme

  • Davidovitch, M. et al. (2013). "Stability of Autism Spectrum Disorder Diagnoses Made at Ages 2 and 4 Years in a Population-Based Surveillance System". Journal of Autism and Developmental Disorders, 43(5), 1064–1074.

  • American Psychiatric Association. (2013). Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders (5e éd.).

  • Happé, F. & Frith, U. (2020). "Looking back to look forward: Changes in the concept of autism and implications for future research". Journal of Child Psychology and Psychiatry, 61(3), 218–232.

  • Milton, D. E. M. (2012). "On the ontological status of autism: the 'double empathy problem'". Disability & Society, 27(6), 883–887.

Ces ressources permettent de mieux comprendre les évolutions scientifiques, sociétales et politiques autour de l’autisme, et d’ancrer les débats dans des faits rigoureux et des analyses documentées.

Comprendre les termes : prévalence, incidence, spectre

Prévalence : il s'agit du nombre de personnes dans une population donnée qui ont reçu un diagnostic d’autisme à un moment donné. Par exemple, dire que 1 enfant sur 36 est autiste indique une prévalence d’environ 2,78 %.

Incidence : ce terme désigne le nombre de nouveaux cas diagnostiqués sur une période donnée. Dans les données sur l’autisme, on parle rarement d’incidence car l’autisme n’est pas une maladie acquise à un moment précis, mais un fonctionnement neurodéveloppemental présent dès l’enfance, souvent identifié tardivement.

Spectre autistique : le terme « spectre » fait référence à la grande variabilité des profils autistiques. Il ne s’agit pas d’un gradient de sévérité linéaire, mais d’un ensemble de caractéristiques (sensorialité, communication, régulation émotionnelle, etc.) qui peuvent s’exprimer très différemment d’une personne à une autre. Le spectre reflète cette diversité de manifestations, et non un classement de "plus ou moins autiste". les évolutions scientifiques, sociétales et politiques autour de l’autisme, et d’ancrer les débats dans des faits rigoureux et des analyses documentées.

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