L'empathie autistique : plus vraie que vraie !
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L’empathie fait partie de ces mots que l’on croit bien connaître. Pourtant, dans le cadre de l’autisme, ce terme a été à l’origine de nombreux malentendus et stéréotypes. Pendant longtemps, l’empathie a été présentée comme une compétence absente ou déficiente chez les personnes autistes, ce qui a contribué à leur déshumanisation dans l’imaginaire collectif. On leur a prêté une froideur émotionnelle, un désintérêt pour autrui, voire une incapacité à ressentir ou à aimer.
Mais cette vision repose sur une incompréhension profonde du fonctionnement autistique. Loin d’être dénuées d’empathie, les personnes autistes en possèdent souvent une forme différente : plus contextuelle, plus intérieure, parfois plus authentique. Loin des automatismes sociaux, cette empathie repose sur la mise en relation avec des expériences vécues, la recherche de sens, l’analyse et le besoin de clarté dans les échanges.
Dans cet article, nous allons déconstruire le stéréotype du « déficit empathique » en retraçant son origine, en précisant les notions fondamentales d’empathie, d’émotion et de sentiment, puis en exposant les recherches contemporaines qui redonnent toute leur place à l’expérience autistique. Enfin, nous ouvrirons une perspective plus personnelle et incarnée, pour comprendre l’empathie autistique dans sa richesse et sa complexité.
Définissons d'abord les concepts d’empathie, d’émotions et de sentiments
Parler d’empathie sans définir ce que l’on entend par là expose à de nombreuses confusions. Le mot recouvre plusieurs dimensions. L’empathie cognitive, d’abord, renvoie à la capacité à comprendre ce que pense ou ressent une autre personne. L’empathie affective, ensuite, correspond au fait de ressentir avec l’autre, d’éprouver une résonance émotionnelle.
Dans le langage courant, on confond souvent empathie et émotion. Pourtant, l’émotion est une réaction rapide, physiologique et psychologique à un stimulus (colère, peur, joie), tandis que le sentiment se construit dans la durée, nourri par la mémoire, l’interprétation et la conscience (amour, tristesse, compassion).
Chez les personnes autistes, les émotions peuvent être très intenses, parfois difficiles à exprimer ou à identifier sur le moment. Les sentiments peuvent être profonds, mais leur communication ne suit pas toujours les codes sociaux attendus. L’empathie, elle, existe, mais peut se manifester autrement, souvent de manière moins visible pour une personne non autiste.
Origine du stéréotype du “manque d’empathie"
Les premières descriptions de l’autisme par Leo Kanner en 1943 et Hans Asperger en 1944 ont posé les bases de l’idée d’un retrait émotionnel. Les critères diagnostiques se sont ensuite construits sur la base d’observations comportementales — difficultés dans les interactions sociales, absence de réciprocité émotionnelle — sans interroger ce que vivent intérieurement les personnes autistes.
Ce biais a renforcé une lecture unilatérale : si une personne n’exprime pas son empathie selon les normes sociales attendues, c’est qu’elle n’en a pas. Cette croyance s’est solidifiée dans les manuels diagnostiques (DSM, CIM), dans les pratiques éducatives et thérapeutiques, ainsi que dans les médias.
En réalité, ce qui est souvent interprété comme un manque d’empathie est une différence d’expression, de traitement de l’information sociale et d’interprétation des signaux non verbaux. L’écart entre les attentes et les manifestations concrètes a produit un malentendu durable.
La théorie de la double empathie et les recherches récentes
Le sociologue et chercheur autiste Damian Milton a proposé en 2012 la « théorie de la double empathie », selon laquelle les difficultés de communication entre personnes autistes et non autistes ne relèvent pas d’un déficit unilatéral, mais d’un malentendu mutuel. Les deux groupes ont des manières différentes de percevoir, d’interpréter et de partager les émotions, ce qui crée une friction relationnelle.
Des recherches plus récentes, comme celles de Catherine Crompton et son équipe, montrent que les personnes autistes communiquent souvent de façon plus fluide et empathique entre elles. Cela confirme que le problème ne vient pas d’un défaut d’empathie en soi, mais d’un décalage entre systèmes de communication.
Ces travaux invitent à revoir en profondeur notre manière d’évaluer et de reconnaître l’empathie. Ils montrent aussi que l’empathie autistique n’est pas déficiente, mais conditionnée par un contexte précis, par des règles de communication explicites, et par une attention souvent plus fine qu’il n’y paraît.
L’importance du contexte dans l’empathie autistique
Pour de nombreuses personnes autistes, comprendre ce que ressent une autre personne ne va pas de soi. Il faut que la situation soit claire, que les paramètres émotionnels soient identifiables. À partir de là, il devient possible de faire appel à une expérience vécue, à une mémoire affective, pour établir un lien sincère avec ce que vit l’autre.
L’empathie autistique fonctionne donc par ancrage dans le vécu personnel. Elle repose sur la mise en correspondance d’expériences, souvent racontées ou évoquées comme point de repère. Cette démarche peut paraître centrée sur soi, mais elle est en réalité une tentative authentique de compréhension.
Là où une personne non autiste réagira spontanément à un signal émotionnel, une personne autiste aura besoin de poser des questions, de reconstruire la situation, de s’assurer de ce qui est attendu. Ce processus est souvent énergivore, mais sincère. Il aboutit à une empathie incarnée, nourrie d’un effort réel.
Une empathie qui varie nécessairement!
Il n’existe pas une seule empathie autistique. Comme dans toute population, les capacités émotionnelles, les façons de les exprimer, et les modalités de communication varient énormément d’un individu à l’autre. Certaines personnes autistes seront très démonstratives, d’autres plus silencieuses ou analytiques.
Mais toutes partagent un besoin commun : celui d’un cadre clair pour comprendre les émotions d’autrui. Ce besoin de contexte n’est pas un obstacle, mais une condition. Il permet de construire une empathie stable, parfois plus authentique que les réactions de façade qui peuvent exister ailleurs.
L’essentiel est de ne pas évaluer l’empathie selon une seule norme sociale. Ce qui peut paraître décalé ou impoli à première vue peut être, en réalité, une expression d’une empathie profonde, mais exprimée autrement.
L’empathie autistique vécue de l’intérieur
Dans ce type de situation, votre serviteur (qui n'est autre que moi, je trouve cette formulation amusante pour lier cet aspect général à mon propre fonctionnement) agit souvent de cette manière, menant, il est vrai, à de nombreuses situations d'inconfort social, de vexation, ou de perception erronée d'égocentrisme. Lorsque les circonstances appellent à l'empathie, il est fréquent que je cherche dans ma mémoire une situation similaire. Parfois je l'explique, parfois je la retiens (avec beaucoup d'efforts !) et, si par chance j'ai une situation comparable en mémoire, alors je signifie à l'autre personne que je comprends (tout en essayant de déterminer comment il est d'usage d'agir socialement). Dans le cas contraire, je questionne afin de pouvoir comprendre le ressenti. Est-ce de l'empathie ? Peut-être ! Au niveau autistique ? Oui, complètement ! Il reste néanmoins à préciser que ce type d'échange est très énergivore.
Conclusion
L’empathie autistique n’est ni absente, ni déficiente. Elle est autre. Contextuelle, explicite, exigeante, souvent sincère, elle mérite d’être reconnue pour ce qu’elle est. En dépassant les stéréotypes et en écoutant les premières personnes concernées, on découvre une richesse d’approches, une profondeur de ressenti, une humanité parfois insoupçonnée.
Comme me l’a dit un jour ma neuropsychologue : « Ce qui compte, ce ne sont pas tes capacités au niveau de l'empathie ou des émotions, ce sont les actes que tu fais naturellement dans ce que tu appelles 'ton mode neutre'. »
Et c’est bien cela qui importe : non pas ce que l’on dit ressentir, mais ce que l’on fait, naturellement, quand personne ne regarde.
Tout Simplement.
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Sources & Références
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Milton, D. (2012). "On the ontological status of autism: the ‘double empathy problem’." Disability & Society, 27(6), 883–887.
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Crompton, C. J., Ropar, D., Evans-Williams, C. V. M., Flynn, E. G., & Fletcher-Watson, S. (2020). "Autistic peer-to-peer information transfer is highly effective." Autism, 24(7), 1704–1712.
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Silberman, S. (2015). NeuroTribes: The Legacy of Autism and the Future of Neurodiversity. Avery Publishing.
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Grandin, T. (1995). Thinking in Pictures: My Life with Autism. Vintage Books.
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Hull, L., Petrides, K. V., & Mandy, W. (2020). "The female autism phenotype and camouflaging: a narrative review." Review Journal of Autism and Developmental Disorders, 7(4), 306–317.
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Yergeau, M. (2018). Authoring Autism: On Rhetoric and Neurological Queerness. Duke University Press.