La visibilité autistique: biais d'approche, affirmations, récits et réalités partagées
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Rendre visible autrement et sortir des représentations figées
Chaque mois d’avril revient avec son lot de rubans, de slogans et d’opérations dites de “sensibilisation à l’autisme”. Si cette visibilité ponctuelle semble partir d’une bonne intention, elle cache souvent une logique marketing, une communication de surface qui ne remet pas en question les représentations dominantes. Chez Simplement Autiste, nous refusons cette temporalité restreinte. La sensibilisation n’est pas un événement : elle est quotidienne, inscrite dans nos réalités, nos récits, nos luttes. Et la visibilité autistique, si elle doit exister, ne peut se construire qu’en dehors des cadres réducteurs.
Car dès que l’on parle d’autisme, le prisme par lequel on en parle façonne profondément ce qui peut être dit, entendu, reconnu. Ce que nous appelons ici “biais d’approche” n’est pas une simple divergence d’opinion, mais un cadre structurant du discours :
Le biais médical perçoit l’autisme comme un dysfonctionnement, un trouble à diagnostiquer, à corriger, voire à faire disparaître.
Le biais psychanalytique, toujours très influent en France, en fait un symptôme lié à une défaillance relationnelle, souvent parentale, niant ainsi les dimensions neurobiologiques et expérientielles.
Même le biais sociologique, plus ouvert, centré sur la notion de neurodiversité, peut parfois figer les personnes dans des catégories identitaires homogènes.
Ces visions coexistent, se contredisent parfois, et elles se répercutent dans les institutions, les médias, l’accompagnement. Elles participent à une cacophonie où les voix des personnes autistes sont trop souvent filtrées, récupérées ou ignorées. Pourtant, une autre voie est en train de s’ouvrir — une voie que nous empruntons chaque jour : celle des récits incarnés, de l’expression autonome, de la réappropriation critique et créative de nos réalités.
La parole des concerné·e·s : puissante et diversifiée
Depuis quelques années, une montée en puissance de la parole des personnes autistes bouleverse les cadres établis. Les concerné·e·s prennent la parole sur les réseaux sociaux, dans les livres, à travers des projets artistiques ou militants. Cette libération de la parole est salutaire, car elle permet enfin de faire entendre des récits vécus, nuancés, incarnés.
Cependant, toutes les voix ne s’équivalent pas : certains discours reproduisent des logiques problématiques, parfois même d’exclusion. Un exemple notable est celui de l’aspi-supremacisme, qui valorise une forme d’autisme dite "fonctionnelle", prétendument supérieure, et discrédite les personnes autistes avec des profils différents ou avec d’autres besoins. Ce courant, encore minoritaire mais visible, dévoie le mouvement de fierté autistique en l’opposant à l’inclusivité.
Autodiagnostic : un empouvoirement plein de responsabilités
Alors que les personnes autistes peinent souvent à trouver leur place dans les parcours diagnostiques officiels, entre délais interminables et méconnaissance des profils dits "atypiques", beaucoup entament une démarche personnelle de compréhension. Un autre sujet souvent débattu est celui des autodiagnostics. Plutôt que de les rejeter, il faut comprendre ce qu’ils disent de notre société : un accès difficile, voire impossible, au diagnostic officiel ; une méconnaissance massive de l’autisme chez les femmes, les personnes racisées, les adultes. Dans ce contexte, l’autodiagnostic devient un outil d’exploration de soi, un acte de reconnaissance personnelle, un premier pas vers une communauté.
Nous l'affirmons, l’autodiag ne pose pas de problèmes, mais certains usages détournés le peuvent : quand il sert à invalider les autres, ou lorsqu’il alimente des discours simplificateurs et nuisibles. L’enjeu est donc de reconnaître cette démarche comme légitime tout en appelant à la responsabilité dans la manière de l’exprimer et de la partager.
Visibilité médiatique : focus sur les stéréotypes et le silence
Cette difficulté d’accès à une reconnaissance institutionnelle s’accompagne d’un autre obstacle majeur : celui des images renvoyées dans l’espace public. Malgré quelques avancées, la représentation de l’autisme dans les médias reste majoritairement stéréotypée. L’accent est mis sur les enfants autistes, souvent blancs, non verbaux ou au contraire surdoués ; les adultes sont invisibles, les femmes presque absentes, les vécus nuancés systématiquement gommés.
Une étude menée par l’INA (2021) sur la couverture médiatique de l’autisme en France montre que près de 60 % des sujets télévisés sur l’autisme tournent autour de la journée du 2 avril. L’angle médical prédomine dans 72 % des reportages analysés, avec une forte mise en scène de la souffrance ou de la charge familiale.
Ce traitement renforce l’idée que l’autisme est un problème à résoudre plutôt qu’un état à comprendre. Il empêche aussi une véritable pluralité des récits, souvent relégués à des blogs ou des témoignages isolés.
Réseaux sociaux : espaces de réappropriation
Heureusement, à côté de ces représentations figées, d’autres formes de narration émergent dans des espaces plus horizontaux et ouverts : les réseaux sociaux. Face à cette invisibilisation ou déformation dans les médias traditionnels, les réseaux sociaux deviennent un levier de réappropriation puissant. Des comptes Instagram, TikTok, chaînes YouTube, blogs et podcasts permettent aux personnes concernées de parler avec leurs mots, de leurs réalités, et de toucher un public autrement inaccessible.
C’est aussi grâce aux réseaux qu’est né Simplement Autiste, un projet porté par moi-même, un autiste, créateur de contenus, entrepreneur dans le domaine de la neurodiversité. Simplement Autiste est aujourd’hui un acteur actif de la visibilité autistique francophone, aux côtés d’autres créateur·ice·s comme Le quotidien d'une autiste, Laëtitia Autrice, ou encore Neuroatypique mais pas tragique. Ces espaces proposent des contenus sincères, pédagogiques, critiques, et portés par l’expérience vécue. Ces canaux permettent à des projets comme Simplement Autiste de proposer une parole pédagogique, accessible et incarnée (vive l'auto promotion). Bien sûr, cela ne se fait pas sans difficulté : algorithmes "peu coopératifs", harcèlement ciblé, absence de modération, mais aussi beaucoup de positif !
La fierté autistique : revendiquer, sans se justifier
La fierté autistique, ou autistic pride, est un mouvement né en réaction aux discours de dévalorisation. Inspiré du pride movement LGBTQIA+, il affirme que l’autisme n’est pas une pathologie mais une variation humaine légitime. Chaque 18 juin, le Autistic Pride Day est l’occasion de revendiquer la visibilité des personnes autistes selon leurs propres termes.
Ce mouvement valorise la diversité des profils et insiste sur l’idée que ce ne sont pas les autistes qui doivent s’adapter à la société, mais l’inverse. Il existe peu de médiatisation en France, mais des initiatives émergent : événements locaux, créations artistiques, contenus pédagogiques.
Créations par et pour les autistes : diversifier les récits
Au-delà des réseaux, d’autres formes de création permettent aux personnes autistes de faire entendre leur voix de manière artistique et sensible. On pense notamment à des courts-métrages comme Je suis autiste de Mélissa Dubois, qui donnent à voir une pluralité de vécus et de trajectoires, loin des clichés habituels. De plus en plus de personnes autistes s’expriment par la création : livres, BD, vidéos, podcasts, fictions. Cette production permet de renouveler les imaginaires autour de l’autisme, de proposer des représentations plus justes, plus variées.
Voici quelques exemples récents, en langue française :
L’enfant océan de Jean-Claude Mourlevat. Une fable contemporaine sur la différence, le point de vue, la fuite face à l’incompréhension.
Je suis autiste et je vais bien, merci de Camille B. (Éditions Kiwi).
La Différence invisible de Julie Dachez et Mademoiselle Caroline. Un récit autobiographique qui a marqué toute une génération.
Mon cerveau a besoin de lunettes d’Annick Vincent. Initialement destiné au TDAH, mais très utile pour les profils neurodivergents.
Le projet Simplement Autiste : porter une visibilité en action
À travers Simplement Autiste, nous portons un projet ancré dans des valeurs fortes : inclusion, vulgarisation, pédagogie, pragmatisme.
Nos outils sont multiples : ce blog, comme espace d’analyse, de transmission et de critique constructive ; nos réseaux sociaux, où nous informons, discutons, partageons des outils et des expériences ; nos créations vestimentaires, qui sont à la fois des objets esthétiques et des supports de visibilité, avec des messages clairs (et sans détours!) nos symboles, comme l’infini autisme en ocre sont porteurs de sens et de fierté.
Nous souhaitons offrir une visibilité en action, non figée, en lien avec la vie réelle des personnes concernées.
Ce qu’il reste à visibiliser
Être visible en tant que personne autiste ne signifie pas se plier aux attentes sociales, ni jouer un rôle convenu. C’est au contraire affirmer une existence complexe, mouvante, légitime.
En ce mois d’avril, nous appelons à une visibilité éthique, engagée, critique. Lutter contre les idées reçues, déconstruire les modèles imposés, encourager les voix multiples. L’autisme n’est pas un bloc homogène, mais une constellation de vécus.
Mais être visible ne suffit pas toujours pour être compris·e, respecté·e ou soutenu·e. Il reste encore de nombreux angles morts dans les représentations collectives et les politiques publiques concernant l’autisme.
Certaines personnes autistes restent largement exclues des récits dominants : les personnes non verbales, souvent réduites à leur silence ; les personnes en situation de précarité, pour qui l’accès à un diagnostic ou à une reconnaissance est encore plus difficile ; les personnes racisées, dont les manifestations de l’autisme sont encore moins bien perçues par les professionnel·le·s. À cela s’ajoute la barrière linguistique qui freine la participation de nombreuses personnes à la communauté autistique francophone ou internationale.
Il est donc essentiel de continuer à élargir les espaces de parole, à encourager la diversité des vécus et à soutenir les formes de narration alternatives. Ce n’est qu’en multipliant les regards et les voix que la visibilité pourra devenir synonyme de reconnaissance réelle, de droit à l’existence et de transformation sociale.
Visibles, humain.e.s, assumé·e·s
Nous sommes visibles, nous sommes humain.e.s, et nous ne cesserons pas de nous raconter.
Tout Simplement.
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Sources
- Institut National de l’Audiovisuel (INA), "Représentations de l’autisme dans les médias" (2021)
- Fovet, F. (2019). Disability Studies and Neurodiversity: Theorizing the experience of autism. Canadian Journal of Disability Studies.
- Ouellette, F.-R. (2018). La neurodiversité : repenser l'autisme, la société et l'inclusion. Revue Nouvelles pratiques sociales.
- Brown, L. (2011). Identity-First Language. Autistic Self Advocacy Network.
- Sinclair, J. (1993). Don’t Mourn for Us.
- Camille B. (2022). Je suis autiste et je vais bien, merci. Éditions Kiwi.
- Dachez, J. & Mademoiselle Caroline. (2016). La Différence invisible. Delcourt.